Dans le tumulte des marchés de Lomé, une colère sourde monte parmi les acteurs de la filière poisson. Semi-grossistes, détaillants et femmes transformatrices dénoncent une mesure gouvernementale qui, si elle visait initialement à promouvoir la production nationale, s’est transformée en un véritable fardeau économique. Depuis 2022, l’achat de tilapia local est devenu obligatoire pour toute acquisition de produits congelés. Le quota initial de 2% a récemment été revu à la hausse, atteignant 10%. Une politique qui, dans la pratique, met en péril l’activité des commerçants, confrontés à des coûts insoutenables et à une demande quasi inexistante.
Un pari sur la production nationale devenu un cauchemar économique
Face à une dépendance massive aux importations, le Togo a décidé en 2018 d’interdire l’importation du tilapia, avant d’imposer en 2022 l’achat obligatoire du poisson local. L’objectif : soutenir la production nationale et favoriser la consommation locale.
Mais sur le terrain, cette politique se heurte à une dure réalité. Le prix du tilapia local a plus que doublé par rapport à son équivalent importé, rendant le produit difficilement accessible pour les consommateurs.
« Avant, le kilogramme de tilapia coûtait 1 200 ou 1 300 FCFA. Aujourd’hui, il est à 2 300 FCFA et personne ne veut l’acheter », déplore une commerçante du marché d’Adawlato.
La récente augmentation du quota obligatoire à 10% complique davantage la situation. Désormais, chaque carton de poisson congelé acheté doit s’accompagner de 3 kilos de tilapia local. Un surplus qui n’intéresse pas les consommateurs, obligeant les commerçants à brader leurs stocks ou à essuyer des pertes conséquentes.
Des pertes sèches et une filière en souffrance
Si la logique gouvernementale semble claire – stimuler la filière piscicole locale et réduire la dépendance aux importations –, les effets pervers de cette politique sont nombreux. Les revendeurs, contraints de se procurer du tilapia pour pouvoir acheter d’autres produits congelés, se retrouvent avec des stocks invendus qui pourrissent dans les congélateurs.
« Tu achètes le tilapia à 5 000 FCFA et tu es obligé de le revendre à 2 000 FCFA pour éviter qu’il ne se gâte. C’est une perte sèche à chaque fois », confie une femme transformatrice de poisson, active dans le secteur depuis plus de 15 ans.
Le problème ne s’arrête pas là. En plus du prix élevé, la qualité du tilapia local est jugée inférieure par les consommateurs. Certains évoquent une texture différente, un goût moins apprécié et, pire encore, une odeur désagréable. « Les gens disent qu’il n’a pas le même goût que le poisson importé », explique une commerçante, impuissante face à l’absence de demande.
Une politique du tilapia local à revoir pour sauver la filière
Les professionnels du secteur appellent les autorités à réajuster les prix ou à subventionner le tilapia local et à revoir les quotas afin de garantir une meilleure acceptation de ce poisson sur le marché. « Nous soutenons la consommation locale, mais il faut préparer la population à intégrer ce produit dans son alimentation quotidienne », plaident-ils.
Pour beaucoup, le principal obstacle demeure le prix. Si le tilapia local continue d’afficher un coût aussi élevé, il restera boudé par les consommateurs. Un réajustement tarifaire pourrait permettre d’augmenter progressivement la demande et de stabiliser le marché. D’autres carrément souhaitent une libéralisation de la consommation du tilapia, plaidant ainsi pour la fin de l’imposition.
Le cas du tilapia n’est pas isolé. D’autres produits locaux, comme le poulet, connaissent le même sort, affichant des prix bien au-dessus des standards du marché.
Entre soutien à la production nationale et nécessité économique
La volonté des autorités togolaises de promouvoir une production locale est compréhensible. Cependant, cette ambition se heurte à une réalité économique qui risque de fragiliser tout un pan du commerce informel. Sans ajustement, les revendeurs se retrouvent pris au piège d’une politique qui, au lieu de dynamiser la filière, menace de l’asphyxier.
Alors que la grogne monte parmi les acteurs de la filière poisson, la balle est désormais dans le camp du gouvernement, sommé de trouver un équilibre entre soutien à la production locale et viabilité économique pour les commerçants.