Dr Kodjo Aristide Agbossoumonde : ‘Faire de la logistique un levier de compétitivité pour le Togo’


L’Association Togolaise pour la Logistique (ATLOG) fête ces 10 ans cette année. Dans le cadre de l’évènement, elle organise la Semaine de la Logistique et de la Supply Chain (SLSC). Dr Kodjo Aristide Agbossoumonde, membre fondateur et conseiller de l’ATLOG, également député à l’Assemblée nationale, expert en développement agricole et en emploi des jeunes, ainsi que spécialiste en Logistique et Supply Chain se prononce. Il revient sur une décennie d’engagement de l’association et partage sa vision pour faire du Togo un véritable hub logistique régional. Cet entretien propose un bilan des réalisations accomplies, les défis du moment et les perspectives à l’aube de la SLSC, qui se tiendra du 17 au 19 décembre 2025 à Lomé.

TogoBreakingNews.info : Pour commencer, pouvez-vous rappeler ce que recouvrent la Logistique, la Supply Chain et la notion de hub logistique ?

Dr Kodjo Aristide Agbossoumonde : Dans un contexte où le Togo est positionné comme un carrefour logistique régional, il est fondamental de bien comprendre les concepts structurels qui fondent cette ambition.

La logistique représente l’ensemble des opérations pratiques liées au déplacement, au stockage et à la distribution des marchandises. Il s’agit notamment du transport, de la manutention, de l’entreposage, de la gestion des flux internes et externes. C’est la dimension concrète et opérationnelle. Dans une entreprise, c’est ce qui garantit que les produits sont livrés à temps, en bon état, au bon endroit.

La Supply Chain, quant à elle, englobe la logistique mais dans un cadre beaucoup plus large. Elle coordonne tous les maillons notamment les achats, la production, le stockage, le transport, la distribution et la gestion des flux d’information, et ce depuis l’origine des matières premières jusqu’au client final. Elle vise à optimiser l’ensemble du processus, à synchroniser les acteurs, à anticiper les besoins, à réduire les coûts et à améliorer la performance globale.

La notion de hub logistique dépasse largement la seule existence d’infrastructures performantes.  Aucun port, aéroport, route ou plateforme industrielle, aussi moderne soit-il, ne suffit à lui seul pour faire un hub ; seule une articulation cohérente entre infrastructures, procédures, acteurs et compétences garantit l’efficacité. Un hub logistique est donc un centre de convergence des flux où transport, stockage, tri, reconditionnement et redistribution s’articulent pour organiser et fluidifier l’acheminement des marchandises tout en tirant parti d’économies d’échelle et de portée.

Pour être un hub régional, ces trois piliers que sont Logistique, Supply Chain et hub sont essentiels. Ils forment le cadre d’une stratégie cohérente pour structurer les échanges, fluidifier les flux, renforcer la compétitivité et assurer une intégration dynamique.

Le Togo s’est engagé dans cette logique. À travers la Feuille de Route Gouvernementale 2020–2025, l’ambition est claire : bâtir une plateforme logistique et de services capable d’appuyer le développement économique et l’intégration régionale.

Qu’est-ce qui a motivé la création de l’ATLOG en 2015 et quel bilan tirez-vous du travail accompli 10 ans après ?

L’ATLOG est née du besoin de structurer un secteur en pleine mutation. Le Togo modernisait ses infrastructures, mais il manquait une instance capable de fédérer les acteurs, de renforcer les compétences et d’installer une culture de la performance. Nous avons voulu créer un cadre professionnel stable, capable de dialoguer avec les pouvoirs publics et d’accompagner une vision nationale déjà clairement établie.

Notre bilan repose sur un travail patient de structuration. Pendant presque une décennie, nous avons priorisé le renforcement des compétences, la sensibilisation aux nouveaux métiers, le rapprochement entre entreprises et institutions, et la promotion des standards modernes du secteur. Nous avons également œuvré pour créer un dialogue professionnel permanent et apaisé, en mettant en avant la formation, la digitalisation, la sécurité et l’innovation. Ce travail de fond a contribué à la maturité croissante de l’écosystème logistique togolais.

Quelle est la vision de votre association ?

Notre vision s’inscrit dans celle portée par les plus hautes autorités du pays, à travers la feuille de route gouvernementale 2020–2025, qui ambitionne de faire du Togo un hub logistique et de services pour l’Afrique de l’Ouest. Nous œuvrons pour optimaliser la cohérence entre les infrastructures existantes notamment le port de Lomé, l’aéroport international, les plateformes industrielles comme la PIA, et le corridor vers les pays de l’hinterland. L’objectif n’est pas simplement d’être un point de transit, mais de devenir un territoire de transformation, de certification et de distribution. C’est cette logique de Supply Chain intégrée que nous promouvons.

Pouvez-vous nous rappeler brièvement ce qu’était la Nuit des Logisticiens, et quels participants ont été mobilisés ?

La Nuit des Logisticiens a été organisée par ATLOG à Lomé le 20 décembre 2024. L’idée était de réunir tous les acteurs clés de la chaîne logistique notamment les représentants des pouvoirs publics, les responsables du port, les opérateurs privés, les experts en transport, les logisticiens, les acteurs de l’industrie portuaire et entreprises utilisatrices autour d’un cadre de réflexion et d’échanges. L’objectif était d’offrir un espace neutre de dialogue pour aborder les défis et les opportunités du secteur.

Quels ont été les thèmes abordés pendant la soirée, et quelles conclusions ou résultats en avez-vous tirés ?

Le thème central de la soirée portait sur « l’attractivité du corridor Lomé–hinterland : opportunités et défis ». Au cours des échanges, nous avons longuement débattu non seulement des questions d’infrastructures portant sur les routes, les entrepôts, les connexions portuaires mais également de la réduction des coûts logistiques, de la simplification des procédures douanières et de la digitalisation des services.

L’un des grands succès de cette première édition a été de poser les bases d’un véritable dialogue entre public et privé. En effet, pour la première fois, tous ces acteurs ont pu exprimer leurs attentes, leurs contraintes, mais aussi leurs ambitions pour le secteur. À l’issue de la soirée, un consensus large s’est dégagé sur plusieurs priorités dont la modernisation des infrastructures, l’amélioration de la fluidité des échanges, le renforcement de la coopération, et faire de la logistique un levier de compétitivité pour le Togo. Enfin, l’engagement le plus concret et essentiel pris par les participants est de faire de la Nuit des Logisticiens un rendez-vous annuel, pour suivre les progrès, entretenir la concertation et accélérer les transformations.

Pourquoi, cette année, vous avez décidé d’organiser une Semaine de la Logistique et de la Supply Chain (SLSC) et quel intérêt cela représente-t-il pour le secteur ?

En décidant d’organiser la SLSC, ATLOG compte renforcer les cadres de discussions déjà existants en permettant aux acteurs de la logistique notamment public, privé, portuaire, aérien, industriel, jeunes professionnels, de se retrouver, d’échanger, de confronter leurs expériences et de converger vers une vision commune. Cette semaine permettra de coordonner les initiatives, d’identifier les défis, de promouvoir l’innovation et la digitalisation, et donc de contribuer à booster l’attractivité du Togo comme hub logistique régional. En réunissant experts, décideurs et opérateurs, la SLSC favorise aussi le renforcement des compétences, la formation, le réseautage et l’émergence de partenariats structurants.

Qu’avez-vous prévu au menu de cette SLSC ?

La SLSC 2025 se tiendra du 17 au 19 décembre à Lomé, sous le thème : « Une logistique dématérialisée, intégrée et durable au Port de Lomé : États des lieux et perspectives. »

Elle se déroulera sur trois jours : une première journée consacrée à la digitalisation et à la gouvernance logistique, une deuxième axée sur la performance, la connectivité régionale et la durabilité, puis une troisième dédiée à la jeunesse et à la formation (conférences métiers, visites du port et de la PIA, rencontres professionnelles), le tout clôturé par la deuxième édition de la « Nuit des Logisticiens ».

Concrètement quels résultats attendez-vous de cette semaine ?

Nous attendons un diagnostic partagé de la situation logistique nationale, une feuille de route opérationnelle et un engagement collectif autour des priorités immédiates que sont la fluidité portuaire, la digitalisation, la coordination institutionnelle, la modernisation du corridor et l’amélioration des infrastructures de soutien. Nous visons également un rapprochement durable entre le monde académique et les entreprises, afin d’accélérer la professionnalisation des jeunes. L’objectif à terme est de disposer d’un système plus fluide, efficient et intégré qui profitera à l’ensemble de l’économie nationale.

Dans le domaine logistique, comment situez-vous aujourd’hui le Togo face à la concurrence régionale ?

En dix ans, le Togo a su transformer des atouts isolés en une architecture logistique cohérente, ambitieuse et multidimensionnelle. Pour desservir efficacement les pays de l’hinterland et désengorger le Port Autonome de Lomé, ce dernier est désormais soutenu par un port sec et une plateforme industrielle intégrée offrant des capacités de stockage, de transit et de traitement logistique essentiels. À cela s’ajoutent la modernisation de l’aéroport international GNASSINGBÉ Eyadéma et le renforcement de sa plateforme aérienne, notamment grâce à la présence de ASKY Airlines, faisant de Lomé un hub aérien stratégique pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre.

Cette transformation n’est pas simplement infrastructurelle ou technique. Elle est aussi institutionnelle et stratégique. Par la gouvernance renouvelée, les incitations à l’investissement, l’ouverture aux acteurs privés et la vision de long terme, le Togo s’est doté d’un écosystème logistique robuste et durable, un hub global construit pour intégrer tous les leviers de la logistique, pour le bénéfice de l’économie nationale et de son rayonnement régional.

Ces atouts structurels solides dont dispose le Togo, ne doivent pas amener à sous-estimer la montée en puissance de la concurrence logistique dans la sous-région. Plusieurs pays ouest-africains s’engagent dans des réformes portuaires, aéroportuaires, logistiques et industrielles pour renforcer leur attractivité.

Les indicateurs 2024 confirment le rôle central du Port de Lomé dans la sous-région avec un trafic global de plus de 30 millions de tonnes et un trafic conteneurisé qui a atteint 2 millions d’EVP. Ces indicateurs positionnent Lomé parmi les ports les plus dynamiques d’Afrique de l’Ouest et confirment la position stratégique du Togo.

En comparaison de ce que font les autres grands ports de la région, les données de 2024 indiquent un traitement de 1,6 million d’EVP par le Port autonome d’Abidjan et environ 880 000 pour le Port de Dakar. À cela s’ajoute le Port de Tema, qui a traité près de 1,7 million TEU en 2024.

Ces données illustrent la réalité d’une concurrence régionale intense, mais elles montrent aussi que le Togo, avec le Port Autonome de Lomé, se situe dans le top des ports ouest-africains, avec des atouts distinctifs. Ce qu’il faut retenir, c’est que notre pays dispose d’un avantage structurel, port en eau profonde, position de transbordement, accès corridor hinterland, connectivité maritime et potentielle multimodale, qui lui donne le statut de hub. Cependant, pour transformer ces atouts en leadership durable, il faudra continuer à investir dans l’intégration multimodale, l’amélioration des services, le renforcement des capacités, la fluidité logistique et l’attractivité pour les flux régionaux.

Quel rôle joue l’aéroport Internationale GNASSINGBE Eyadéma dans la stratégie logistique du pays ?

L’aérien joue un rôle de première importance dans la stratégie logistique et l’association entre l’aéroport GNASSINGBE Eyadémade Lomé et ASKY Airlines, avec le soutien d’Ethiopian Airlines, constitue un atout stratégique pour le Togo. L’aéroport international de Lomé est le hub principal de ASKY, qui dessert des dizaines de destinations dans toute l’Afrique de l’Ouest et Centrale.

Cette configuration permet non seulement de connecter le Togo au reste du continent, mais aussi d’intégrer le transport aérien à l’ambition de plateforme logistique régionale. Grâce à ASKY et à sa relation étroite avec Ethiopian Airlines, Lomé est une desserte régulière et fiable, ce qui renforce son attractivité pour le fret aérien, notamment pour les marchandises sensibles comme les produits pharmaceutiques et les biens de haute valeur ainsi que pour le développement d’activités comme la logistique du froid, l’e-commerce, etc.

Pour exploiter pleinement ce potentiel, l’enjeu est maintenant de développer un véritable hub cargo national, et d’assurer une intégration multimodale : port maritime, aéroport, zone industrielle et plateformes logistiques doivent fonctionner comme un système unifié. C’est la condition pour que l’aérien, en complément du maritime, joue un rôle structurant dans la chaîne logistique du pays.

Avec ces atouts, quelles peuvent être les perspectives pour l’écosystème logistique du Togo ?

L’objectif stratégique des prochaines années devra être de faire fonctionner le port, l’aéroport, la zone industrielle et le corridor intérieur comme un système intégré, un véritable hub multimodal.

À l’instar de Durban, Mombasa ou Djibouti, Lomé peut viser un hub multimodal combinant port maritime, zone industrielle, corridor intérieur et services logistiques modernes. Ces hubs prouvent que, en Afrique, il est possible, même sans être en Europe ou en Asie, de bâtir des plateformes performantes, compétitives, capables de servir l’hinterland et de capter des flux internationaux.

En effet, le port Autonome de Lomé constitue la porte d’entrée maritime ; l’aéroport international, avec son rôle de hub aérien, permet de capter les trafics sensibles : fret express, marchandises périssables, produits de haute valeur, e-commerce, logistique du froid ; la Plateforme industrielle d’Adétikopé (PIA) offre des capacités de transformation, d’entreposage et de distribution ; le corridor vers l’hinterland assure la connectivité avec les pays enclavés.

En combinant ces éléments, le Togo deviendra un hub de classe mondiale, capable d’attirer des flux diversifiés (marchandises générales, produits agricoles transformés, biens industriels, fret aérien, etc.) et de servir efficacement la sous-région.

En tant qu’expert en développement agricole, pouvez-vous nous dire s’il existe un lien entre la Logistique / Supply Chain et développement agricole ?

Bien évidemment. La Supply Chain est souvent le maillon qui manque à la valorisation agricole. Sans une chaîne logistique performante, pour l’agrégation, le conditionnement, le stockage, la conservation et la distribution, beaucoup de valeur se perd avant l’exportation. Une Supply Chain agricole bien structurée permettrait de réduire les pertes post-récolte, d’améliorer la qualité, d’encourager la transformation locale et d’augmenter les revenus notamment des producteurs.

De par votre expertise en emploi des jeunes, quelles sont les opportunités d’emploi qu’offrent la Logistique et la Supply Chain aux jeunes togolais ?

Ces opportunités sont considérables. En effet, la Logistique et la Supply-Chain sont des rouages essentiels de l’économie. Elles interviennent dans les secteurs du commerce, de l’industrie, de la production, de la distribution, de l’e-commerce, des transports, des services, etc. Et quel que soit le domaine agricole, manufacturier, commercial ou industriel, il existe un besoin fondamental d’organiser l’acheminement, le stockage ou la distribution des biens.

Dans ce contexte, la demande de compétences ne cesse de croître : il faut des personnes capables d’assurer le bon fonctionnement des flux, d’optimiser les processus, de coordonner les différentes étapes, d’adopter les nouvelles technologies. Ce sont des besoins transversaux à toutes les filières.

Ainsi, pour un jeune togolais, s’engager dans la logistique et la Supply-Chain signifie accéder à un secteur polyvalent, dynamique, transversal, une voie d’insertion professionnelle avec des débouchés multi-sectoriels et des perspectives d’évolution.

Quel est votre dernier mot à quelques jours de la SLSC 2025 ?

Le Togo dispose d’un potentiel logistique unique avec un alignement rare d’infrastructures que sont un port en eau profonde, un hub aérien, une zone industrielle intégrée et un corridor stratégique. À cela s’ajoutent une vision étatique claire, une administration en modernisation et un secteur privé de plus en plus structuré. Pour renforcer cet avantage en leadership durable, trois leviers doivent être activés simultanément : accélérer la digitalisation, renforcer la coordination entre les acteurs, investir dans la compétence, notamment celle des jeunes. Le Togo peut devenir un modèle régional de logistique intégrée et durable. Les fondations sont là ; il s’agit maintenant d’accélérer la mise en cohérence.

C’est pourquoi nous lançons un appel aux entreprises, jeunes professionnels, acteurs publics, investisseurs, experts logistiques, formateurs pour participer massivement à la Semaine de la Logistique et de la Supply Chain. Leur participation est essentielle pour qu’ensemble nous réfléchissions aux stratégies pour faire de notre pays un modèle de logistique intégrée et durable capable d’impulser une dynamique nouvelle, offrir des opportunités d’emploi, valoriser le capital humain et renforcer la place de notre pays sur la carte du commerce et du transport en Afrique de l’Ouest.

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