Togo First : L’IFC a ouvert un bureau au Togo il y a cinq ans. Quels sont, selon vous, les trois impacts les plus marquants depuis cette période d’implantation officielle ?
Ethiopis Tafara : On peut commencer par évoquer l’augmentation significative des investissements réalisés au Togo depuis cinq ans. À l’époque, notre programme était très réduit. Depuis, nous avons investi ou mobilisé environ 186 millions de dollars – un chiffre record. C’est une augmentation majeure, avec un accent sur des secteurs clés comme l’énergie et les télécommunications.
Nous avons investi, par exemple, dans le terminal à conteneurs de Lomé, notre point d’entrée initial. Mais depuis, nous avons aussi investi dans Togocom et Star Garments, une entreprise spécialisée dans la fabrication de vêtements à grande échelle pour l’exportation, comparable à ce qui se fait au Bangladesh.
Nous avons aussi œuvré pour améliorer l’accès à l’énergie, notamment avec un investissement dans Zener, permettant la construction de terminaux de stockage de propane et de butane.
Nous ciblons des secteurs où le Togo a un avantage comparatif. Nous soutenons les PME qui créent la majorité des emplois. Leur fournir un financement est essentiel. De même, l’énergie, les transports et la logistique sont des priorités – nous avons investi dans Gozem, qui fait un travail remarquable dans la mobilité urbaine.
Togo First : Que retenez-vous de l’expérience togolaise, en particulier sur le climat des affaires, et comment cela influence-t-il votre approche ici et ailleurs ?
Tafara : La leçon principale, c’est l’importance d’un environnement favorable à l’investissement. C’est fondamental pour mobiliser des investissements et développer le secteur privé qui crée des emplois. Ce constat vaut pour tous les pays où nous opérons. C’est pourquoi nous travaillons étroitement avec la Banque mondiale qui collabore directement avec les gouvernements sur les réformes nécessaires pour attirer les investisseurs.
Togo First : Vous avez soutenu des entreprises comme Yatt & Co, Label d’Or et Gozem. Comment adaptez-vous votre stratégie à la structure particulière du secteur privé togolais, notamment en agro-industrie, énergie ou logistique ?
Tafara : On me demande souvent si nous ne soutenons que les grandes entreprises. En réalité, nous investissons dans les grandes et les petites. Ce qui compte, c’est l’impact. Nous cherchons des « » qu’on peut accompagner, transformer en exemples pour le marché local, voire en champions régionaux, comme Gozem. Au départ, ils présentaient des vides à combler au regard de nos standards d’accompagnement. Nous les avons aidés à se structurer (gestion environnementale, risques sociaux, etc.), et nous envisageons à terme de plus importants soutiens.
Nous intervenons aussi sur de grands projets d’infrastructures (ports, routes, énergie). L’important est de garder un équilibre. Nous prenons aussi des participations en capital (equity), en plus de nos prêts, dans les entreprises qui apportent des solutions aux problèmes de développement les plus urgents.
Togo First : Qu’en est-il du soutien aux PME ?
Tafara : Notre organisation n’est pas toujours adaptée pour directement servir le segment des PME qui sont très nombreuses dans les pays où nous opérons. On ne peut pas les accompagner individuellement. On s’appuie sur l’intermédiation des banques et institutions financières locales qui, elles, ont déjà un portefeuille de plusieurs PME à la fois. Cette approche de portefeuille permet non seulement de réduire les risques, mais aussi de toucher bien plus de PME indirectement, de façon plus efficiente.
Togo First : Le financement vert devient essentiel pour notre pays. Comment identifiez-vous les projets à soutenir ?
Tafara : Nous travaillons avec des porteurs de projets d’énergie solaire, éolienne ou hydraulique – les sources d’énergie les plus propres. Mais plus généralement, tous nos projets doivent respecter des normes environnementales et sociales strictes. On évalue leur utilisation des ressources, leur impact environnemental, etc. Presque tout ce que nous faisons est « » dans ce sens.
Nous soutenons aussi la mobilité électrique (e-mobility), utile pour les villes et respectueuse de l’environnement.
Perspectives à venir et tensions géopolitiques
Togo First : Avez-vous des projets phares à venir, ici ou en Afrique de l’Ouest, notamment en matière de financement innovant ?
Tafara : Oui. Je me concentre actuellement sur trois priorités : le financement en fonds propres (equity), qui est plus risqué mais beaucoup plus structurant ; le financement en monnaie locale, car emprunter en devises étrangères est souvent trop risqué pour les entreprises qui génèrent leurs revenus en monnaies locales ; et l’énergie, indispensable au développement.
Nous poursuivons aussi nos efforts pour renforcer l’autosuffisance du continent : produire localement ce que nous importons, comme les médicaments ou les produits alimentaires.
Togo First: Le Togo entretient désormais des relations solides avec des pays comme la Chine, en tant que partenaires commerciaux et d’investissement. Comment la SFI – généralement perçue comme une institution occidentale – se positionne-t-elle dans cette dynamique Sud-Sud ?
Tafara : Pour nous, la coopération Sud-Sud est une excellente chose. Les pays émergents ont vocation à nouer des liens économiques plus forts entre eux. Non seulement les pays d’Asie, mais aussi les économies africaines de premier plan, investissent dans nos marchés. C’est positif.
Notre mission (éliminer la pauvreté, créer des emplois) reste inchangée, peu importe les tensions géopolitiques. C’est ce qui nous rend pertinents depuis 80 ans.
Togo First : Avec des tendances isolationnistes aux États-Unis, ne craignez-vous pas une réduction des financements, comme pour l’OMS ou la BAD récemment ?
Tafara : L’IFC n’est pas dépendante des contributions directes de donneurs. Notre bilan à ce jour est robuste et permet de répondre aux besoins en financement de nos clients. Et aucun de nos actionnaires ne s’oppose à la création d’emplois, car elle apporte de la stabilité et réduit les migrations. Notre mission reste « ».
Togo First : Un dernier mot ?
Tafara : L’Afrique est à un moment décisif. D’ici à 2050, un quart de la main-d’œuvre mondiale sera africain. Le dividende démographique est une opportunité pour le continent, à condition d’y créer des emplois productifs. Pour ce faire, il faut prioriser non seulement les secteurs incluant les chaînes de valeur agricoles, mais aussi le tourisme, secteur sous-exploité malgré le potentiel du continent.