Togofirst : Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ?
Ketowoglo Yao Azoumah (K. Y. A.): Je suis actuellement le directeur général de KYA Energy Group. Mon parcours peut se situer à deux niveaux, pour faire simple. D’abord, en tant qu’individu à la quête de la connaissance. J’ai commencé à l’Université de Lomé où j’ai obtenu ma maîtrise en physique, option énergétique. Puis j’ai continué en France avec un master en énergie, suivi d’un doctorat en sciences pour ingénieur, spécialisé en énergie solaire et efficacité énergétique. J’ai ensuite fait deux ans de post-doctorat au Canada, toujours dans la technologie de l’énergie.
À partir de là, le virus africain m’a repiqué. Je suis revenu sur le continent pour partager mon expertise à travers l’Institut international d’ingénierie 2iE basé à Ouagadougou, où j’ai fait ma carrière d’enseignant-chercheur et de directeur de laboratoire de recherche pendant près d’une dizaine d’années. J’ai ensuite poursuivi à PAUWES, l’Institut panafricain pour l’eau et l’énergie basé à Tlemcen en Algérie, pendant environ un an et demi, avant de décider de me mettre à mon propre compte en créant KYA Energy Group.
TF : Qu’est-ce qui vous a poussé à quitter le monde académique pour l’entrepreneuriat ?
K.Y.A. : Tout simplement parce que j’ai voulu impacter le continent africain, le Togo en particulier, autrement et en mieux. Pendant longtemps, j’ai fait de l’enseignement et de la recherche sur les voies et moyens, ou bien les procédés énergétiques, qui pourraient permettre l’accès aux services énergétiques. Ça restait essentiellement des approches académiques.
Il est arrivé un moment où j’ai voulu passer de l’académie à l’ingénierie de terrain. En faisant ce saut de façon complètement fortuite, j’ai découvert qu’il y avait beaucoup à faire et à refaire, tant sur le terrain que sur le plan académique. Il y avait des pratiques de terrain que nous ignorions au niveau académique, et il y avait aussi le renforcement du terrain à faire via les aspects académiques. Ce saut m’a beaucoup permis de revoir les choses et d’impacter autrement nos populations.
TF : Quelle est la mission de KYA Energy Group ?
K.Y.A. : Rendre l’accès aux services énergétiques durables à moindre coût à nos populations, toutes couches confondues. C’est quand même malheureux qu’au XXIème siècle, en 2025, il y ait encore des zones dans notre pays ou en Afrique qui n’ont pas accès aux services énergétiques.
Quand on est spécialiste du solaire, quand on a passé quasiment 20 ans depuis son doctorat en embrassant le solaire, on se pose la question : est-ce que j’ai été suffisamment utile ? Pourquoi sommes-nous encore dans le processus de fournir l’accès aux services énergétiques, et ça ne marche pas ? Notre seule et unique volonté, c’est de nous battre sur tous les plans (scientifiques, technologiques, économiques, financiers, politiques) pour que demain, chaque Togolais ait accès aux services énergétiques. Et quand je parle de services énergétiques durables, c’est par exemple faire usage du soleil qui est là, et qui ne va jamais s’éteindre, en tout cas, pas à notre échelle.
TF : Quels ont été les principaux défis rencontrés depuis la création de l’entreprise ?
K.Y.A. : Les défis sont nombreux. Le premier, c’est de convaincre, non seulement les pouvoirs publics, mais aussi les privés, que le solaire est utile et durable. Parce que, figurez-vous, il y a eu d’autres expériences plutôt pas reluisantes avec le solaire. Certains ont essayé, sans succès, pour plusieurs raisons. Le solaire, c’est de l’ingénierie. Si on ne possède pas cette ingénierie, on peut faire des installations qui ne soient pas durables, ou qui ne soient pas fiables, ou trop coûteuses. Donc le premier défi, c’est de convaincre les gens de notre savoir-faire.
Le deuxième défi, ce sont les ressources humaines qualifiées. Nous n’avions quasiment pas d’écoles qui forment dans l’ingénierie solaire. Il a fallu mettre en place un outil de remise à niveau de tout ce qu’on prend comme ressources humaines, de les mettre à niveau et de pouvoir les maintenir. Vous pouvez prendre un jeune technicien ou ingénieur qui travaille avec vous, qui apprend avec vous, et après deux ou trois ans, il trouve d’autres opportunités et s’en va. Le maintien des ressources humaines est donc un gros défi.
Enfin, le défi qui peut immédiatement tuer l’entreprise, c’est le volet financier. Pas forcément pour soutenir notre structure, mais pour soutenir nos potentiels clients dans l’acquisition de nos produits et services.
TF : Pouvez-vous préciser ce défi financier ?
K.Y.A. : Aujourd’hui, nous sommes arrivés à un stade où le solaire est compétitif. Si je prends le kWh qu’on produit sur la durée de vie du système solaire (nous donnons par exemple un minimum de 5 ans de garantie), le coût de ce kWh est compétitif avec plusieurs coûts de kWh dans la sous-région. Mais il n’est pas accessible.
La quantité d’énergie à produire sur ces 5 ans, plus la puissance qui va avec, nous demandons aux clients de payer tout l’investissement, tout de suite. Alors que les systèmes classiques de distribution d’énergie permettent de payer de façon mensuelle, voire trimestrielle. Donc il faut trouver des mécanismes pour flexibiliser l’acquisition des systèmes, de manière à ce que les gens ne sentent pas ce poids au départ.
Or, nous ne sommes pas une institution financière, nous n’avons pas de trésorerie à immobiliser. Il nous faut des accompagnements avec des mécanismes financiers qui ne soient pas trop chers pour permettre aux gens d’acquérir les systèmes solaires et de payer sur des périodes relativement longues, minimum 5 ans, 8 ans, 10 ans, voire plus. Heureusement, aujourd’hui, nous avons quelques partenariats qui se créent, notamment avec Ecobank, mais il y a d’autres acteurs financiers dans le pays qui s’intéressent à ce mécanisme pour faciliter l’acquisition des systèmes solaires à nos futurs clients.
TF : D’autres défis ?
K.Y.A. : Il y aussi l’enjeu politique. Le politique peut changer beaucoup de choses. Aujourd’hui, il y a des directives de la CEDEAO et de l’UEMOA qui encouragent à enlever les taxes, douanières ou la TVA, de tout ce qui est fourniture d’électricité à base des énergies renouvelables. Il y a des pays qui l’ont complètement appliquée, d’autres partiellement.
Au Togo, par exemple, les panneaux solaires sont détaxés. Mais les batteries, les onduleurs, tout le reste ne l’est pas. Et c’est la plus grosse partie en termes d’investissement. Nous saluons le fait que le pouvoir public a mis en place une loi qui clarifie la filière solaire. Nous continuons à demander d’aller plus loin et d’enlever les taxes sur les autres composants, notamment les batteries et les onduleurs, de manière à tirer davantage les coûts d’investissement vers le bas pour le grand bonheur de nos populations des villes et des campagnes.
TF : Comment contribuez-vous à l’objectif gouvernemental d’accès universel à l’énergie à l’horizon 2030 ?
K.Y.A. : Nous sommes de plain-pied là-dedans, sous plusieurs angles. La première chose que nous avons décidé de faire, c’est de diminuer notre dépendance vis-à-vis de l’extérieur en termes d’acquisition des composants solaires. C’est la raison pour laquelle nous avons commencé à développer des produits maison.
Aujourd’hui, nous assemblons ce que nous appelons les groupes électro-solaires sur place. Nous assemblons des batteries, des lampadaires solaires. Mais en dehors de ces assemblages, nous fabriquons nos propres gestionnaires d’énergie, qui sont des outils hyper importants dans le management des systèmes solaires pour qu’il y ait une meilleure adéquation avec la consommation énergétique. Nous fabriquons également des analyseurs de réseau qui permettent d’évaluer avec précision les besoins énergétiques des clients pour un meilleur dimensionnement.
Nous avons mis au point notre propre logiciel de dimensionnement des systèmes solaires pour une meilleure adéquation avec notre réalité terrain. Depuis 2020, ce logiciel, KYA-SolDesign, est commercialisé. C’est pour dire que nous avons un premier volet scientifique et technologique pour essayer de dompter la technologie solaire et diminuer notre dépendance vis-à-vis de l’extérieur et mieux contribuer ainsi à l’atteinte de l’ambitieux chantier du Gouvernement togolais
TF : Quelle est votre stratégie de production locale ? Qu’assemblez-vous et qu’importez-vous ?
K.Y.A. : La plupart des entreprises solaires font de la commercialisation de produits importés, donc 100% de dépendance extérieure. Nous nous sommes donné comme objectif de briser cela et de réduire cette dépendance au fur et à mesure que nous grandissons.
Le fait de commencer à importer des intrants et à assembler ces composants de systèmes solaires sur place nous permet déjà de réduire notre dépendance de 10-15%. Il y a des composants qui ne sont pas dans les systèmes solaires classiques, tels que les gestionnaires que nous avons développés nous-mêmes. Les analyseurs, nous les développons nous-mêmes. Le logiciel, nous l’avons spécifié pour mieux prendre en considération ce que nous appelons la fiabilité technique et l’accessibilité économique.
Je dis souvent qu’on peut avoir un système fiable, mais que personne ne peut acheter ou disposer d’un système accessible qui ne soit pas du tout fiable techniquement. Comment peut-on avoir un système accessible à tout le monde, mais qui soit en même temps fiable ? Nous avons travaillé à trouver des compromis entre les deux. Notre logiciel adresse bien ce compromis. Cela nous a permis de réduire complètement notre dépendance à 100% vis-à-vis des logiciels existants.
TF : Quelles sont les prochaines étapes de votre stratégie industrielle ?
K.Y.A. : L’assemblage que nous faisons aujourd’hui nous donne un avantage concurrentiel : si quelqu’un veut commander des batteries, il va mettre 3 à 4 mois avec l’extérieur. Avec nous, c’est un mois. Nous n’avons pas encore la capacité de fabriquer sur place des cellules au lithium, pourtant le lithium se trouve sur notre continent. Et donc, nous ambitionnons de les fabriquer d’ici à la fin de cette décennie.
Notre rêve, c’est de pouvoir avoir des marchés pour que l’assemblage prenne de l’ampleur. À l’horizon 2035, nous nous fixons comme objectif d’attaquer les composants clés, notamment la fabrication des cellules au lithium.
L’assemblage des onduleurs, est encore plus simple. Nous avons déjà nos prototypes. À partir de 2027, nous aurons la ligne d’assemblage des onduleurs chez nous.
Nous nous donnons des horizons à moyen et long terme pour participer au développement industriel des produits solaires. Pour moi, c’est la seule et unique façon de pérenniser ces systèmes. Autrement, nous allons créer des marchés pour les autres qui vont venir nous donner leurs équipements, et nous serons toujours derrière eux pour les innovations qu’ils vont faire.
TF : Pourquoi ne vous attaquez-vous pas aux panneaux solaires ?
K.Y.A. : En ce qui concerne les panneaux solaires, la Chine est très loin devant. Même les occidentaux ne peuvent pas la suivre en la matière. Tous les pays qui essayent de développer et d’assembler les panneaux solaires en Afrique ferment. Le dernier en date qui souffre aujourd’hui, c’est le Burkina Faso avec une entreprise qui fait dans l’assemblage des panneaux solaires, mais qui ne marche pas réellement.
Mais il y a les autres composants qui sont des niches que nous [les Africains] pouvons attaquer plus facilement. Je me base sur le modèle de téléphonie mobile. Ce ne sont pas les Asiatiques qui ont inventé la téléphonie mobile, mais ils l’ont adoptée, quasiment métamorphosée. On est passé des mobiles à une puce aux multiples puces. Ce sont les Asiatiques qui ont fait ça. Nous devons aussi dompter le soleil et l’adapter à nos besoins à travers les innovations technologiques dans des niches pertinentes.
TF : Vous avez également développé un volet formation. Pouvez-vous nous en parler ?
K.Y.A. : Un second volet que nous avons en effet beaucoup développé, c’est la formation. J’ai parlé des compétences dans l’ingénierie solaire. Nous avons pris sur nous de faire des renforcements des capacités. En témoigne le fait que l’ECREEE, le Centre d’efficacité énergétique des énergies renouvelables de la CEDEAO, nous a pris comme le seul centre, au Togo, pour former les techniciens pour la certification de la CEDEAO en matière de solaire hors réseau.
Nous avons développé des modules pédagogiques très adaptés aux professionnels du solaire pour avoir des compétences disponibles localement sur tout le territoire national et pour permettre la pérennisation de ces systèmes solaires. Parce qu’il ne suffit pas de les installer, il faut aussi rester, maintenir, faire des réparations si nécessaires, pour que les gens ne rejettent pas les systèmes solaires.
TF : Qui sont vos principaux clients ?
K.Y.A. : Notre premier segment clientèle, ce sont les institutions publiques. C’est avec les institutions publiques que nous faisons notre meilleur chiffre d’affaires. Mais depuis quelques années maintenant, environ trois ans, nous avons commencé à travailler sérieusement avec le secteur privé. Les ménages constituent le segment le plus faible. Pourquoi ? Parce que justement, on n’arrive pas à trouver les mécanismes financiers adéquats pour permettre aux ménages d’acquérir de façon flexible ces systèmes.
Le jour où nous allons atteindre ce point ; et Dieu sait que nous en sommes presque proche ; d’avoir des accompagnements sur 8 ans, sur 10 ans, avec des taux d’intérêt relativement bas et avec des coûts compétitifs en kWh pour les ménages, je pense que ça sera notre plus grande frange du segment clientèle. Mais aujourd’hui, très clairement, c’est le secteur public, après le secteur privé, les PME-PMI et les ménages en dernière position. Nous renverserons la tendance dans un avenir proche.
TF : Comment vous êtes-vous fait connaître sur les marchés publics ?
K.Y.A. : Nous nous sommes révélés à travers plusieurs choses. Nous, à KYA, nous aimons la compétition. Nous participons à beaucoup de concours, et ça nous donne de la visibilité. Notre premier grand concours que nous avons gagné, c’est le prix de la BOAD. Nous avons eu le premier prix d’innovation de la BOAD en 2018, qui nous a donné un beau chèque de 30 millions. Ça nous a permis de convaincre un peu plus les pouvoirs publics que nous avons une offre intéressante.
Mais nous n’avons pas l’exclusivité des marchés publics ni au Togo ni ailleurs. Nous participons à des appels d’offres comme tout le monde. Nous avons construit un environnement d’esprit très compétitif, qui fait que nous n’allons jamais sur un marché avec doute ou complaisance. Nous travaillons les dossiers de façon disciplinée et très professionnelle. Nous gagnons des marchés publics ici au Togo et ailleurs : au Niger, au Mali, au Bénin, au Ghana, etc.
TF : Pouvez-vous nous donner une idée de vos chiffres d’affaires ?
K.Y.A. : Aujourd’hui, en moyenne sur les dix ans, nous tournons autour du milliard de francs CFA de chiffre d’affaires annuel. En moyenne, on est légèrement autour de ça. Nous nous battons parce que nous pouvons multiplier ce chiffre d’affaires par 3, par 4, voire bien plus. Nous avons beaucoup de clients dans le secteur privé, les PME-PMI, mais le frein, c’est le coût d’acquisition de départ.
Si nous sautons ce verrou, si on saute pour le Togo spécifiquement la question liée aux taxes douanières et à la TVA, je pense que nous pourrons faire encore plus grand. Il faut dire que nos premières années ont été très difficiles. On ne peut pas commencer tout de suite et faire un milliard. Mais à partir de nos 10 ans, nous pensons que nous allons améliorer davantage nos revenus, pas seulement en nous concentrant sur le Togo, mais beaucoup plus dans la sous-région et sur tout le continent.
TF : Comment l’innovation impacte-t-elle votre compétitivité ?
K.Y.A. : Mon background d’enseignant-chercheur impacte beaucoup ce volet d’innovation. Dans ma vie professionnelle précédente, j’ai été directeur de laboratoire de recherche, fondateur de laboratoire de recherche. Animer des équipes de recherche, gagner des projets de recherche auprès de l’Union africaine, de la Banque mondiale, de l’Union européenne… Cette quête de l’innovation est ancrée en ma personne que je communique à mes collègues.
Nous avons ainsi créé un environnement pour stimuler la recherche et l’innovation à travers des séances dédiées de façon hebdomadaire au brainstorming. Ça fait que nous arrivons non seulement à questionner nos pratiques actuelles pour les améliorer, mais nous questionnons également le futur pour apporter des solutions plus innovantes aujourd’hui qui peut-être n’existent pas encore.
Cela impacte beaucoup notre compétitivité, notre participation aux appels d’offres. Nous n’y allons pas de façon complaisante. Nous savons qu’en face de nous, il y a des compétiteurs organisés et sérieux. Il faut se préparer, préparer les dossiers minutieusement. Si nous échouons, ça doit être vraiment à quelque chose près. Il y a toujours quelqu’un qui est plus fort que soi. S’il est plus fort, tu fais profil bas, tu reviens en arrière pour voir comment renforcer tel aspect ou tel autre pour que demain tu puisses gagner. Et c’est un processus continue.
TF : Quels sont les grands succès qui ont marqué ces dix années ?
K.Y.A. : Je peux d’abord dire que notre entrée sur le marché avec notre groupe électro-solaire a été un élément majeur. Très peu de gens à l’époque pensaient à optimiser les systèmes solaires sous l’angle à partir duquel nous les voyions , et nous avons été récompensés par la BOAD là-dessus.
L’autre élément majeur, c’est d’avoir catégoriquement changé l’approche de dimensionnement des systèmes solaires hors réseau et d’avoir développé le premier logiciel africain de dimensionnement des systèmes solaires hors réseau, qui est enseigné aujourd’hui un peu partout.
Nous avons gagné quelques marchés phares. D’abord, la mise en place de l’Académie solaire dans le cadre du programme CIZO, une compétition internationale. Nous avons été la seule entreprise togolaise shortlistée parmi six autres, et nous avons gagné ce marché pour former 3000 techniciens. Ça a été fabuleux.
Il y avait aussi le contrôle et la supervision de la plus grande centrale solaire du Togo, la centrale de Blitta, qui est passée de 30 MW à 50 MW, puis de 50 MW à 70 MW aujourd’hui. Nous avons fait l’ingénieur conseil et jusqu’à date, il n’y a jamais eu d’incident particulier. C’était un challenge, et nous avons réussi ce pari.
Je finirai par la ligne d’assemblage que nous avons aujourd’hui. Pour moi, c’est un succès majeur d’avoir pu aller, en 10 ans, au bout de ce premier rêve : avoir acquis des lignes pour assembler les batteries, les lampadaires solaires, et surtout pour fabriquer les gestionnaires d’énergie et les analyseurs. Ces premiers succès nous donnent encore plus de confiance.
TF : Quels sont les principaux risques pour les acteurs du solaire dans la sous-région ?
K.Y.A. : Pour moi, les premiers risques sont essentiellement politiques. Nous sommes dans un environnement politique très changeant dans la sous-région. Nous vivons du terrorisme, des coups d’État, des changements de régime. Ça peut remettre en cause la priorité qu’un pouvoir public a donnée aux énergies renouvelables. C’est un risque majeur.
Le second risque, c’est l’accompagnement financier. Il y a aujourd’hui le mouvement mondial de transition énergétique qui crée des fonds verts, des financements carbone. Demain, avec les envolées internationales qu’on connaît aujourd’hui ici et là, on peut avoir des arrêts de ces financements. Comment financer l’acquisition des systèmes solaires ?
Il y a aussi le risque technologique. Le lithium aujourd’hui n’est pas utilisé uniquement dans le domaine du solaire. On l’utilise de plus en plus dans le génie militaire. Si on a plus de guerre que de paix, les batteries au lithium peuvent se raréfier et le coût peut augmenter.
TF : Comment vous préparez-vous à ces risques ?
K.Y.A. : D’abord, sur le plan politique, nous essayons d’être extraterritoriaux. Nous ne voulons plus mettre tous nos œufs dans un seul panier. Ça va nous permettre de minimiser les risques. Ce n’est pas dans tous les pays qu’on peut avoir des changements drastiques de politique énergétique. Si au Togo on a un changement, peut-être qu’au Bénin on n’en a pas. C’est à nous de construire notre modèle de business en tenant compte de ces multi-risques et de proposer des offres attrayantes au-delà de nos frontières.
Par rapport au volet financier, nous nous efforçons à travailler à avoir des solutions purement bancaires pour avoir un accompagnement, sur le long terme des banquiers. Il y a toute une ingénierie financière à travailler et à développer avec les banquiers pour accompagner des solutions innovantes solaires qui s’adressent à une population avec un faible pouvoir d’achat.
TF : Quelle est votre vision dans 5 à 10 ans ?
K.Y.A. : Dans 5 à 10 ans, nous voulons être parmi les meilleurs en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. C’est clairement notre terrain de jeu. Pourquoi ne pas être parmi le top 10 de ceux qui offrent le solaire compétitif, le solaire durable et le solaire moins cher en Afrique ?
En dehors des produits solaires, nous voulons accompagner dans la standardisation de nos pratiques à travers des franchises, exporter notre savoir-faire en termes de conception, d’installation, de maintenance, de supervision, etc. et commercialiser nos produits qui permettent d’optimiser le fonctionnement des systèmes solaires.
Nous avons une politique que nous allons enclencher l’année prochaine pour mettre à disposition du grand public nos logiciels quasiment de façon gratuite pendant un bon bout de temps, pour que les gens voient ce qu’ils peuvent gagner avec notre logiciel comparé aux autres existants.
Notre ambition est claire, c’est de faire du Togo un hub des énergies renouvelables en Afrique de l’Ouest. Nous voulons, à partir d’ici, être l’un des leaders dans le domaine du solaire et, pourquoi pas, utiliser le solaire comme un réel outil de diplomatie énergétique dans la sous-région.
TF : Pour conclure, comment l’énergie peut-elle rendre l’Afrique véritablement indépendante ?
K.Y.A. : Pour être honnête, le seul outil d’indépendance que nous avons, c’est l’énergie, mais produite à base de ressources endogènes. La première ressource énergétique endogène la plus distribuée sur notre continent, c’est le soleil. Après, on a l’éolien, la bioénergie, etc. Si nous voulons réellement que nos pays soient souverains, que nos pays acquièrent leur vraie indépendance, nous ne devons plus manquer d’énergie.
Je donne souvent l’exemple du soleil dans quelques domaines clés. L’agriculture : personne ne peut rien faire s’il a faim. Nous ne pouvons plus faire l’agriculture comme au Moyen-Âge. Nous ne pouvons plus attendre que ce soit la nature qui nous donne de l’eau alors que nous avons des moyens pour aller chercher de l’eau. L’énergie solaire peut contribuer à irriguer nos cultures. Même dans le désert, on peut irriguer. Les Israéliens font l’agriculture en plein désert en irriguant au solaire. Nous pouvons le faire partout.
La question de mobilité, du transport : aujourd’hui, ça coûte cher de transporter les biens et les personnes parce que dès que le coût du pétrole augmente, le coût du transport augmente en conséquence. Nous pouvons changer de paradigme. Il y a de plus en plus de motos électriques, de voitures électriques. Il suffit que nous ayons des stations de recharge de véhicules électriques au solaire, nous nous passerons royalement des hydrocarbures. Nous ne serons plus tributaires des coûts du pétrole. C’est un rêve aujourd’hui, nous nous battons pour qu’il devienne réalité demain.
Il y a aujourd’hui des centres de santé, des écoles, qui sont vulnérables vis-à-vis du manque d’accès aux services énergétiques. Nous ne pouvons plus parler au 21ème siècle d’accouchements difficiles ou de pertes de bébés parce qu’on n’a pas eu l’électricité pour mieux faire cet accouchement. Le soleil peut répondre à ce problème partout. On n’a pas besoin de tirer les câbles partout pour que chacun ait son système solaire. Ce sont des systèmes bien décentralisés dont chacun peut disposer en complète autonomie.
C’est un appel que je lance tant aux pouvoirs publics qu’au secteur privé : mobilisons-nous, donnons-nous tous les moyens possibles d’engagement et de facilitation, pour que d’ici 5 à 10 ans, le soleil soit vulgarisé partout au Togo et en Afrique. Je rêve que sous peu, lorsqu’on descend de l’avion sur notre pays le Togo ou sur d’autres pays de la sous-région, qu’on voit des panneaux solaires sur tous les toits, ce sera une vraie révolution pour nos populations des villes et des campagnes.
Propos recueillis par