Patient Pouwereou BODJONA, promoteur de Bo-Bateaux, tenant deux maquettes lors d’une exposition. Crédit d’images: Agridigitale
Un parcours atypique né d’une tragédie
L’origine de Bo-Bateaux remonte à 2011. Alors qu’il se trouve à Sokodé, Bodjona apprend le décès de 36 personnes lors d’un naufrage sur le Lac Togo. Une pirogue en bois a chaviré durant une traversée par temps venteux. , confie-t-il.
Titulaire d’une licence en allemand, Patient ne possède aucune formation initiale en ingénierie navale. Son parcours professionnel repose sur l’auto-formation, la pratique, et le bricolage. , précise-t-il. Cette passion pour le bricolage le conduit à s’intéresser à la construction d’embarcations après avoir observé le bassin d’eau de Bodjona, créé dans sa commune de résidence. , selon le jeune entrepreneur, qui envisage déjà des activités de plaisance.
En 2014, son projet est retenu lors du Forum des Jeunes Entrepreneurs Togolais (FJETS). Ce prix, décaissé quelques mois plus tard, va lui permettre de fabriquer un premier prototype en bois. , confie-t-il. Cette expérience le convainc de se tourner vers l’acier recyclé dès 2016.

Une formation technique sur le terrain
Pour maîtriser son nouveau matériau, Bodjona suit une formation de 41 jours en soudure à l’arc. , précise-t-il. Il obtient une carte professionnelle d’artisan en soudure. Le reste de ses compétences, il les acquiert par observation et pratique. , affirme-t-il, désignant deux postes à souder qu’il a lui-même fabriqués.
Cette approche autodidacte a un coût en temps et en ressources. , témoigne Patient, devant trois pirogues en cours de fabrication. Le travail en solo ralentit la cadence de production.
Une production limitée mais diversifiée

Depuis 2018, Bo-Bateaux a fabriqué 12 embarcations : dix pirogues et deux maquettes. Les pirogues, dimensionnées pour trois à cinq personnes, utilisent de l’acier recyclé ou neuf selon les commandes. Les deux maquettes représentent des embarcations insubmersibles. , explique Bodjona, qui a testé le concept en piscine et en bassin.
L’acier présente des avantages par rapport au bois traditionnel. , détaille l’entrepreneur. La durabilité supérieure du métal constitue un argument commercial, même si le coût initial reste plus élevé.
Un modèle économique en construction
En 2024, Bo-Bateaux a réalisé un chiffre d’affaires de 5 millions de francs CFA. , reconnaît Bodjona. L’entreprise n’est pas encore rentable. Son activité principale reste la prestation de services pour des acteurs comme l’Agence Nationale d’Assainissement et de Salubrité Publique (ANASAP), où il appuie avec ses équipements dans le nettoyage des bassins et retenues d’eau.
Ces contrats portent sur l’entretien des bassins d’eau : évacuation des herbes aquatiques, curage des caniveaux, abattage d’arbres. , note l’entrepreneur, qui cherche à développer d’autres débouchés, notamment dans le tourisme et la pêche durable.
La commercialisation des pirogues se heurte à la réticence des acheteurs potentiels. , analyse Bodjona. Le problème : fabriquer des produits de démonstration nécessite des capitaux qu’il ne possède pas. , résume-t-il.
Défis administratifs pour un “petit poucet”
Pour la petite entreprise dans un secteur fortement dominé par l’importation des embarcations par des coopératives ou groupements, les coûts d’immatriculation constituent un frein majeur. , chiffre l’entrepreneur. Cette somme représente une barrière pour une jeune entreprise dont le chiffre d’affaires annuel s’élève à 5 millions. , déplore-t-il.
Le financement initial repose sur les fonds propres. Les subventions obtenues lors de concours ont permis de démarrer, mais ne suffisent pas à développer l’activité. « Les subventions ne sont pas de la productivité. , souligne-t-il.
Un échec formateur en 2018
En 2018, Bo-Bateaux subit une perte significative. Après un contrat d’entretien dans le bassin dit ” (à Agoè), Bodjona laisse deux pirogues dans les caniveaux au lieu de les ramener à l’atelier. Une forte pluie emporte les embarcations, qui se retrouvent ensevelies sous le sable. , se remémore-t-il.
Cet incident le conduit notamment à développer le concept d’embarcation insubmersible. , explique l’entrepreneur. Il suivra notamment une formation en plongée sous-marine pour pouvoir, le cas échéant, récupérer des équipements perdus. .
Des perspectives dans l’économie bleue
Bodjona identifie plusieurs débouchés pour ses produits. Au-delà de l’entretien des bassins, il vise le tourisme aquatique et la pêche artisanale. , énumère-t-il.
La pêche représente un marché potentiel important, notamment du côté des pêcheurs professionnels. Il constate que ce secteur reste dominé par des acteurs étrangers.
Pour l’entrepreneur, une partie de l’économie bleue souffre d’un déficit de visibilité et d’un manque d’intérêt de la part de la jeunesse togolaise. « Je pense que ce secteur pèse plusieurs de milliards…, regrette-t-il. Il plaide pour une sensibilisation accrue.
Des attentes vis-à-vis des pouvoirs publics
Bodjona formule plusieurs demandes aux autorités. En premier lieu, il souhaite des facilités administratives. , propose-t-il.
Il appelle également à réserver certains créneaux aux entrepreneurs locaux. , suggère-t-il. L’objectif : permettre aux jeunes entreprises togolaises de se développer avant d’affronter la concurrence internationale.
L’entrepreneur insiste sur la nécessité de garder le savoir-faire au Togo. , fait-il remarquer, évoquant sa participation au forum Blue Invest qui s’est tenu au Togo.
, conclut-il.
Pour l’heure, Patient Pouwereou Bodjona poursuit son travail dans son atelier, soudant et assemblant ses embarcations en acier recyclé. Il prépare une commande et cherche les autorisations nécessaires pour organiser des démonstrations publiques.
Le parcours de ce pionnier illustre les défis de l’innovation industrielle au Togo : un savoir-faire technique développé par auto-formation, un marché potentiel important mais difficile d’accès, et des contraintes financières et réglementaires qui freinent la croissance. Dans un secteur où les acteurs locaux restent minoritaires, Bo-Bateaux tente de tracer une voie, un nouveau sillon, vers une économie bleue togolaise.
