Le défi d’inclusion de l’éducation à l’épreuve des réalités sociales
Obligatoire de 6 à 15 ans, l’accès à l’éducation de base n’est pas universel à ce jour au Togo. De nombreux enfants, ayant l’âge officiel pour un niveau d’enseignement donné, ne fréquentent toutefois pas l’école. Les disparités dans l’accès à l’éducation se vivent à divers niveaux et en fonction de certains critères. Globalement, indiquent les statistiques officielles, le taux de non-scolarisation est de 8 % au primaire ; il augmente à 12 % au secondaire du premier cycle. Et, en raison de redoublements, de grossesses non désirées et de décrochages au cours de la scolarité, ce taux atteint 29 % au secondaire du deuxième cycle.
Tous azimuts, les facteurs d’inégalités dans l’accès à l’éducation
Les facteurs discriminants dans l’accès à l’éducation au Togo peuvent souvent varier en fonction du genre, de la pauvreté ou de la richesse des parents, du caractère urbain ou rural du milieu où vivent les enfants.
Le « » est loin d’être négligeable dans l’appréciation des inégalités dans l’accès à l’éducation, quel que soit le niveau scolaire. Globalement, les taux de non-scolarisation sont plus élevés chez les filles que chez les garçons, à tous les niveaux. Si l’écart entre filles et garçons reste ténu au primaire, il atteint des proportions plus élevées, au collège et quelque peu préoccupantes au lycée. En effet, bien que l’Etat reconnaisse le droit à l’éducation des enfants, les pesanteurs socioculturelles ont fini par façonner l’imaginaire collectif ici ou là……qu’« », qu’elle est faite pour rester à la maison, à la cuisine ou aller au champ. Mais pas que.
A partir du secondaire, l’écart devient plus important et le taux de non-scolarisation des filles, deux fois supérieur à celui des garçons. 40 % contre 20 %. Ceci, du fait des décrochages scolaires, des grossesses non désirées, entre autres.
Les conditions de pauvreté ou de richesse des parents sont également assez déterminantes dans l’accès ou non des enfants aux établissements scolaires. Si l’Etat reconnaît le droit à l’éducation de tous les enfants togolais, les conditions modestes ou vulnérables de certains parents peuvent parfois compromettre l’effectivité de ce droit.
De fait, les parents vulnérables éprouvent davantage de peine à scolariser leurs enfants, et sont plus enclins à les amener au champ, afin qu’ils contribuent à la production du nécessaire vital pour la famille, grâce à leur force de travail. L’écart entre les enfants issus de familles riches est toutefois moins prononcé au secondaire, où les taux de scolarisation sont globalement plus faibles.
Un autre facteur majeur explicatif des inégalités dans l’accès à l’éducation est la localisation géographique. Les enfants issus et résidant en milieu rural enregistrent des taux de non-scolarisation bien plus élevés à tous les niveaux. Très généralement, dans les milieux ruraux, ils devront parcourir des kilomètres avant de trouver un établissement scolaire, posant un problème d’insuffisances d’infrastructures scolaires, et ne rien pouvoir manger à l’école, faute de moyens.
Ceci étant, le droit à l’éducation peut parfois ressembler à un luxe que ne peuvent s’offrir certains enfants, soit du fait de leur genre dans un contexte d’omniprésence des idées reçues et pesanteurs socioculturelles, de leur cadre de vie ou localisation géographique (milieu urbain ou rural), ou des conditions de vie de leurs parents. Le gouvernement togolais, soucieux non seulement de démocratiser l’accès à l’éducation au profit des enfants togolais mais aussi de mettre l’éducation togolaise en adéquation avec les exigences de l’emploi, opte alors pour des réformes chirurgicales, sur fond d’augmentation continue des ressources budgétaires au profit du secteur éducatif.
Le big bang
Les réformes, voulues holistiques par le gouvernement et déterminantes pour faire de l’éducation et celui de la formation, un moteur de développement, ont été mises en mouvement, notamment par le Professeur Dodzi Kokoroko, ministre des enseignements primaire et secondaire. L’une des réformes majeures, c’est la gratuité des frais de scolarité.
Gratuité
Au Préscolaire et au Primaire publics
Depuis 2008 plus exactement, le gouvernement togolais a instauré la gratuité de l’enseignement préscolaire et primaire public, supprimant du coup ou réduisant au minimum, les barrières financières à l’éducation pour les familles. Une mesure qui a sans doute eu une résonance particulière dans les zones rurales où la vulnérabilité des familles est plus prégnante.
Deux ou trois ans plus tard, des résultats notables ont été enregistrés. Particulièrement, sur l’éducation des filles longtemps perçues comme des variables d’ajustement. De 87,4% en 2010-2011, le taux de scolarisation a bondi à 126,7% en 2013-2014. A l’horizon 2030, le défi est de parvenir à la parité Filles-Garçons à l’école, à tous les niveaux d’enseignement, apprend-on.
Pêle-mêle, les effectifs ont enregistré des hausses exponentielles. Alors qu’au préscolaire, l’effectif était de 86 680 sur la période 2012-2013, il a atteint 155 739 en 2017-2018, soit un taux de progression de 12%. Le primaire public qui voyait son effectif établi à 1 054 549 en 2007-2008, a connu une évolution, culminant à 1 413 600 en 2014-2015 et à 1 548 876 en 2017-2018. Au primaire, le taux brut a ainsi bondi de 98% à 126,8%.
Au Secondaire (1er et 2ème cycles : collèges et lycées publics)
Cette mesure de gratuité des frais de scolarité sera complétée par la réduction des frais de scolarité pour les filles du premier cycle du secondaire (collège). L’initiative vise à supprimer ou le verrou financier à l’éducation, pour encourager les familles à maintenir leurs filles à l’école. Et ainsi, promouvoir l’accès équitable à l’éducation et lutter contre les inégalités de genre. Concrètement, les frais d’inscription et cotisations scolaires obligatoires dans les collèges publics sont pris en charge par l’État pour les filles.
Plus tard, le gouvernement procédera à l’extension de la mesure de gratuité des frais de scolarité à tous les élèves des collèges et lycées publics (filles et garçons) à partir de l’année scolaire 2021-2022. L’annoncée a été officialisée le 21 août 2021, dans le cadre des efforts des autorités togolaises visant à atténuer l’impact de la COVID-19 et favoriser l’accès à l’éducation. Depuis, elle a été reconduite chaque année, avec comme corollaire, un taux de scolarisation au primaire franchissant la barre des 95 %, contre environ 88 % auparavant. En parallèle, des efforts sont faits pour garantir la qualité de l’enseignement malgré l’augmentation du nombre d’élèves inscrits.
Les Cantines Scolaires pour retenir les élèves à l’école
Ce programme vise à offrir des repas scolaires réguliers aux enfants des communautés les plus pauvres, favorisant ainsi leur fréquentation et leur maintien à l’école, en particulier dans les zones les plus vulnérables. L’objectif du Togo à travers ce programme est d’atteindre 300 000 écoliers bénéficiaires des cantines scolaires au plus tard cette année, avec la volonté d’élargir et de pérenniser l’approvisionnement en repas scolaires.
Selon le ministère de l’éducation, les cantines scolaires ont permis d’augmenter de 10 % l’effectif scolaire dans les écoles bénéficiaires, contre seulement 7 % dans celles qui n’en bénéficient pas.
Tolérance zéro contre les violences sexuelles et les auteurs de grossesses
Afin de donner toute leur portée politique, scientifique et économique à leur choix de mobiliser leurs ressources pour un accès de tous à l’éducation, les autorités, face au frein que représentent les grossesses en milieu scolaire, ont renforcé l’arsenal législatif par l’interdiction du mariage des enfants, l’interdiction et la répression de violences à caractère sexuel. De fait, les violences à caractère sexuel sont un facteur entraînant la déperdition scolaire des jeunes filles. Et les statistiques sont alarmantes. Jusqu’à 2474 cas de grossesses recensés au titre de l’année scolaire 2022-2023. Que de débauche d’énergies, de ressources, que de gâchis…
Pour enrayer le phénomène ou tout au moins le réduire au minimum, a été adoptée une loi sur la protection des apprenants contre les violences à caractère sexuel. Une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 5 ans et une amende pouvant culminer à 5 millions FCFA si une grossesse résulte de cet acte de violence sur l’apprenant, âgé de 16 ans ou plus.
En parallèle, des initiatives sont en cours pour lutter contre les mariages précoces. Des campagnes de sensibilisation sont menées à l’endroit des communautés ou des parents et même des élèves.
Davantage de ressources budgétaires pour poursuivre les grands chantiers
Le Togo a régulièrement augmenté la part du budget allouée à l’éducation primaire et secondaire entre 2020 et 2024. En 2024, une dotation de 191 milliards de francs CFA était prévue, contre 123 milliards en 2020, soit près de 12 % du budget national. Cette augmentation représente une hausse de 52 % de l’enveloppe dédiée à l’éducation depuis 2020. En 2025, le ministère des enseignements primaire et secondaire (183 milliards FCFA) est toujours en tête de liste des ministères aux plus gros budgets, bien qu’enregistrant une baisse en variation annuelle.
Améliorer la qualité de l’enseignement
Dans le cadre des efforts du gouvernement pour l’amélioration de la qualité de l’enseignement, cinq nouvelles Écoles normales d’instituteurs (ENI) ont été créées en 2021. Ces institutions ont été transformées en Écoles Normales de Formation des Professeurs des Écoles (ENFPE), dans le but de renforcer la qualité de la formation des enseignants. L’objectif principal de ces ENFPE est de former des enseignants qualifiés, capables de dispenser un enseignement de qualité, notamment dans les zones rurales et éloignées, où les besoins sont particulièrement importants.
Les ENFPE sont également chargées de mettre en place des formations continues pour les enseignants déjà en service, afin de les familiariser avec les dernières méthodes pédagogiques et les innovations en matière d’enseignement, telles que l’intégration des technologies numériques dans les classes.
En plus de la formation initiale, les ENFPE jouent un rôle clé dans la mise en œuvre des réformes éducatives en fournissant un personnel enseignant, mieux préparé et capable de s’adapter aux défis contemporains du système éducatif togolais.
Formation des enseignants et construction des salles de classe
La formation des enseignants est un axe essentiel des réformes en cours. Le recrutement de nouveaux enseignants et leur formation continue sont renforcés, avec des modules axés sur l’enseignement moderne et interactif. Ainsi, entre 2020 et 2024, plus de 22 400 enseignants ont été recrutés et formés. De nouvelles méthodologies pédagogiques ont été introduites, notamment l’utilisation des outils numériques et des approches interactives pour un apprentissage plus efficace.
En parallèle, d’importants efforts ont été consentis pour améliorer aussi bien quantitativement que qualitativement, les infrastructures scolaires. Entre 2020 et 2024, environ 5300 salles de classe ont été construites ou réhabilitées grâce au Programme d’urgence de développement communautaire (PUDC).
Cette initiative a permis d’améliorer les conditions d’apprentissage et de réduire la surcharge dans les salles de classe, notamment en milieu rural.
Les différentes initiatives mises en œuvre
Le Projet d’Amélioration de la Qualité de l’Éducation de Base (PAQEEB), mis en œuvre sur une période de cinq ans (2019-2024), vise à améliorer l’enseignement primaire en renforçant la formation des enseignants et en fournissant des infrastructures scolaires modernes.
Le Projet d’Amélioration de l’Accès, de la Qualité et de l’Équité de l’Éducation au Togo (PAAQET), qui s’étend sur six ans (2020-2026), met l’accent sur l’amélioration de la gouvernance éducative et la réduction des disparités régionales dans l’accès à l’éducation.
Quant au Projet d’Appui à la Réforme de l’Éducation et de la Formation (PAREC II), il est mis en œuvre sur une durée de quatre ans (2021-2025) et cible le renforcement de l’enseignement technique et professionnel pour répondre aux besoins du marché de l’emploi.
Pour une meilleure adéquation Formation-Emploi
Le développement de l’enseignement technique et professionnel est encouragé à travers la création d’Instituts de formation en alternance pour le développement (IFAD), qui préparent les jeunes aux besoins du marché du travail.
En effet, les IFAD sont des établissements de formation professionnelle mis en place en réponse aux besoins du marché du travail et pour favoriser l’insertion professionnelle des jeunes. Ils fonctionnent selon un modèle de formation en alternance, combinant enseignement théorique et apprentissage pratique en entreprise.
Objectifs des IFAD
- Former des jeunes aux métiers techniques et professionnels adaptés aux besoins du marché.
- Favoriser l’auto-emploi et l’entrepreneuriat.
- Réduire le chômage des jeunes en renforçant leurs compétences pratiques.
- Contribuer au développement économique du pays par la qualification de la main-d’œuvre.
En ce sens, le gouvernement togolais a ouvert dans des secteurs clés :
- IFAD Aquaculture (Elavagnon) pour former en pisciculture et en gestion des exploitations aquacoles.
- IFAD Élevage (Barkoissi) : dédié à la formation en élevage, notamment la production de volailles et de bovins.
- IFAD Bâtiment (Lomé) pour les métiers du bâtiment (maçonnerie, plomberie, électricité, etc.).
- D’autres IFAD comme l’IFAD Logistique (Adétikopé) spécialisé dans la logistique et le transport, sont prévus pour couvrir d’autres secteurs.
Enseignement supérieur : des refontes, des curricula et des diplômes harmonisés
Dans l’enseignement supérieur, des universités et instituts technologiques sont en expansion, avec un accent mis sur les sciences, la technologie et l’innovation pour mieux adapter les diplômés aux besoins de l’économie nationale. Dans le domaine des sciences et de la technologie, la célèbre Ecole Nationale Supérieure d’Ingénieurs (ENSI) et le Centre d’Informatique et de Calcul (CIC) ont été fusionnés pour donner naissance à l’Ecole Polytechnique de Lomé (EPL).
Parmi les réformes majeures, l’instauration des examens nationaux pour les diplômes universitaires constitue une avancée significative. Ces évaluations visent à harmoniser les standards de qualification, garantir la reconnaissance des diplômes sur le marché du travail et améliorer la compétitivité des diplômés togolais à l’échelle internationale. Au niveau de l’Université de Lomé et de celle de Kara, a été instaurée la mobilité étudiante sur fond d’harmonisation de plusieurs aspects de leurs cursus respectifs : l’unification des syllabus et des maquettes des formations pour garantir une cohérence pédagogique entre les deux établissements.
Par ailleurs, des investissements sont réalisés dans les infrastructures universitaires avec la construction de nouveaux amphithéâtres, laboratoires et bibliothèques pour répondre à la demande croissante des étudiants.
Les efforts entrepris pour réformer l’éducation au Togo sont significatifs et porteurs d’espoir. Avec une meilleure formation des enseignants, des infrastructures modernisées et une politique d’accès inclusif, le pays se donne les moyens de faire de l’éducation un véritable moteur de développement. L’implication continue des partenaires techniques et financiers comme l’UNICEF, Plan International et autres, reste essentielle pour garantir le succès de ces réformes et assurer un avenir meilleur aux générations futures.
En tout état de cause, le secteur de l’éducation et de la formation est un secteur en pleine mutation, essentiellement caractérisé par des investissements records et des réformes en continu visant à améliorer l’accès et la qualité de l’éducation, même s’il demeure confronté à des défis structurels.